Article commandé pour un journal local sur un élément d’architecture du patrimoine régional


LES PIGEONNIERS D’OCCITANIE

Imaginez qu’une nuit, une main invisible confisque en Occitanie tous les pigeonniers… L’automobiliste, le cycliste, le promeneur aurait la déplaisante sensation que l’essentiel manque à son environnement. Ils sont là depuis toujours, accolés à un corps de ferme ou plantés au milieu du tournesol ou du blé, tels d’immuables gardiens, témoins de notre histoire… Modestes, cossus, anciens ou plus récents, ils ont eu (et ont encore pour certains) la noble mission d’abriter nos pigeons, qui furent autrefois une source économique loin d’être négligeable…
La Haute-Égypte, la Grèce et la Perse élevaient des pigeons et bâtissaient des pigeonniers bien des siècles avant notre ère, mais c’est Jules César, lors de la conquête romaine, qui les introduisit en Europe.
Au moyen âge, en France, posséder un pigeonnier était un privilège, accordé exclusivement à la noblesse et au clergé. Cette préséance, au fil des siècles, bien que respectée strictement dans le Nord (Oil), a été élargie dans le Sud (Occ) aux propriétaires terriens sans titre de noblesse, à la condition qu’ils possèdent un certain nombre d’hectares. Ces édifices devinrent alors un symbole de prestige et de richesse, car le nombre de boulins (nids) qu’ils contenaient était directement lié au nombre d’arpents de leur exploitation.
Utilisé comme messager parfois (le pigeon biset), ou élevé pour sa viande, fine et goûteuse, et pour sa fiente, la colombine (engrais très riche en azote et acide phosphorique), le pigeon a été jusqu’au début du XXème siècle un important facteur économique dans le milieu rural.
C’est pourquoi les pigeonniers devaient refléter, par leurs dimensions et leur architecture, l’opulence de leur propriétaire. Pour autant, bien que de formes et de tailles très diverses, ils obéissaient tous à des règles communes : ouvertures des plages d’envol à l’abri des vents dominants, corniches ceinturant l’extérieur, évitant l’ascension des fouines ou des rats, boulins en hauteur, hors d’atteinte des prédateurs et de l’humidité…
À propos de boulins, pour la petite histoire, l’expression « se faire pigeonner » viendrait du fait que certains, pour réussir de belles alliances, n’hésitaient pas à ajouter de faux boulins pour se faire passer pour plus fortunés qu’ils ne l’étaient réellement !
Si vous venez vous promener en Occitanie, n’hésitez pas à venir photographier nos couloumés (dérivé du latin colombarium). Qu’ils soient carrés, ronds, octogonaux, d’un bloc ou sur pilotis, tous prennent la pose, y compris nos pigeonniers toulousains, habillés de rose et de gris (brique foraine et galets), et qui ont la particularité d’avoir deux toits à faible pente, séparés par un ressaut en forme de marche d’escalier, ce qui leur a valu le nom de pieds de mulet.
Et vous verrez, vous non plus n’imaginerez pas une seconde qu’ils ne fassent plus partie de notre paysage car ils sont devenus, au fil du temps, indissociables de notre patrimoine occitan.