Accorder les couleurs paraît simple… C’est vrai lorsque la couleur est un adjectif qualificatif, beaucoup moins lorsqu’on veut nuancer ladite couleur avec un nom ou un deuxième adjectif. On le sait, les canaris sont jaunes mais les canards en plastique, eux, sont jaune canari ! 

Petit préambule sur l’accord du mot couleur… Quand utiliser le singulier ou le pluriel dans différentes expressions contenant le mot couleur ?   

Le mot couleur employé seul ou précédé de de s’utilise toujours au singulier : 

Des robes couleur crème. Des téléviseurs couleur. Des assiettes couleur coquelicot 

Une femme de couleur. Du linge de couleur. Changer de couleur

S’il est précédé de en, il s’utilise toujours au pluriel, sauf dans l’expression « haut en couleur » :   

Un film en couleurs. Des photographies en couleurs. Des dessins en couleurs… réalisés avec des crayons de couleur


Commençons par le plus simple : nom ou adjectif ? 

Les couleurs, du moins les couleurs basiques, sont des adjectifs : rouge, bleu, vert, jaune, violet, blanc et noir (même si ce ne sont pas à proprement parler des couleurs, ce sont quand même des adjectifs), etc.  En tant que tels, ils s’accordent en genre et en nombre au nom qu’ils qualifient :   

Des tapis rouges. Des citrons verts. Des tuniques bleues

En revanche, si la couleur est qualifiée par un nom, celui-ci est invariable. C’est le cas pour de nombreux qualificatifs provenant de fruits, d’arbres, de fleurs, d’animaux, ou encore de pierres précieuses ou de métaux :   

Des chaussures marron. Des pulls orange. Des yeux émeraude

Quelques exemples : abricot, acajou, ébène, pervenche, pastel, framboise, citron, paille, lilas, noisette, kaki, moutarde, olive, tilleul, sapin, argent, bronze, brique, azur, ardoise, café, chocolat, caramel, champagne, cognac, saumon, chamois, corail, pie, etc. 

N.B. Invariable aussi, le terme de fuchsia, désignant un arbuste aux fleurs en forme de clochettes d’un rose soutenu, est doté d’une orthographe difficile à retenir. Pour que ce soit plus facile, sachez que Charles Plumier, missionnaire et botaniste français de la fin du XVIIe siècle, aurait dédié ce nom à Leonhart Fuchs (1501-1566) en 1703, après avoir découvert cette plante à Saint-Domingue. Les raisons de cet honneur sont source de désaccords entre de nombreux scientifiques et historiens, et je vous laisse le soin de faire des recherches plus approfondies si le cœur vous en dit… 


Et c’est là que commencent les exceptions !  

Huit noms communs sont devenus à l’usage, de véritables adjectifs de couleur et s’accordent en genre et en nombre. Il s’agit de : 

Alezan, bai, écarlate, fauve, incarnat, mauve, pourpre, rose.  

                                                                                          Alezan

Les termes alezan et bai sont utilisés principalement pour désigner la couleur de la robe d’un cheval : 

L’alezan est un brun-rougeâtre tirant un peu sur le orange, voire sur le jaune. Les chevaux alezans (et les juments alezanes) ont leur robe et leur crinière de la même couleur. 

Le bai est un brun-rouge, plus foncé que l’alezan, et les chevaux bais, (ainsi que les juments baies), sont dotés d’une crinière noire. 


                                                                                               Porphura

Les incarnats, écarlates et pourpres désignent une couleur rouge plus ou moins soutenue : 

L’incarnat est emprunté à l’italien incarnato au XVIe siècle, lui-même dérivé de carne : chair. C’est un rouge assez clair entre le rouge cerise et le rose. Il est employé en tant que substantif dans un langage relativement soutenu : l’incarnat d’une fleur, l’incarnat d’un teint

L’écarlate était une teinture provenant essentiellement de la cochenille et par extension une étoffe précieuse de couleur rouge vif, l’escaralte au XIIe siècle. 

La pourpre est issue du grec porphura qui est un coquillage d’où l’on tire la pourpre. Ce gastéropode possède une glande produisant un liquide qui devient rouge dès qu’il est à l’air. Autrefois, ce substantif s’employait aussi en médecine pour désigner les maladies se manifestant par des taches pourpres sur la peau, telles que la rougeole ou la scarlatine. 


                                                                                                    Mauves

Les mauves et les roses sont des fleurs :

les premières, grandes fleurs aux pétales allant du rose pâle au mauve striés de rose foncé, appartenant à la famille des Malvacées, sont groupées en bouquets qui s’épanouissent de juin à septembre. 

Je ne m’étendrai pas sur les secondes tant il y aurait à dire sur la « reine des fleurs », muse des poètes, peintres et écrivains qui célèbrent, depuis l’antiquité, le velours de ses pétales aux couleurs profondes, son parfum aux mille fragrances, sans oublier ses épines qui ont fait saigner tant de cœurs... 


                                                                                     Le fauve

Ce substantif, que la mansuétude de notre langue a fait admettre comme adjectif, n’était autre au départ… qu’un adjectif ! Du germanique falwa, il signifiait jaune-roux. La couleur est donc bien le premier sens de ce mot. Ce n’est qu’ensuite qu’il a servi à désigner des animaux au pelage de cette teinte, puis plus spécifiquement les grands félins. 


Ça se complique : les mots composés 

Une couleur peut être désignée par deux mots : un adjectif et un nom, ou deux adjectifs. En règle générale, ces mots restent invariables. Mais doit-on mettre un trait d’union ou pas ? 

Deux adjectifs ou un adjectif et un nom   

Une souris reste gris clair (et non grise claire), même si elle passe dans une pièce aux murs blanc cassé aux rideaux vert pomme ! Quant aux chemises bleu pâle sur des uniformes bleu foncé, ça ne vous fait penser à rien ? C’est sûr, c’est plus discret que des pulls jaune citron sur des pantalons rouge sang et des chaussettes vert fluo … 

Deux adjectifs de couleur 

Eux aussi invariables, les mots composés de deux adjectifs de couleur prennent un trait d’union.  

Des yeux bleu-vert ou gris-bleu, des toits brun-rouge, des murs jaune-orangé… 

Les noms composés « vert-de-gris », « lie-de-vin », « arc-en-ciel », prennent aussi un trait d’union et sont invariables.     

Deux couleurs reliées par « et »   

Il y a là une petite subtilité : tout dépend de ce que l’on veut dire. On écrira des ballons vert et bleu si chaque ballon comporte du vert et du bleu. En revanche, si on désigne plusieurs ballons de couleur unie, on écrira des ballons verts et bleus (des ballons verts et des ballons bleus). Des robes blanc et noir (ou des vaches !) ne désignent pas la même chose que des robes blanches et (des robes) noires (ou des vaches !). 

On est donc bien d’accord que l’échiquier est composé de cases noires et blanches et que nos drapeaux tricolores sont bleu, blanc, rouge


Un peu plus sur les couleurs   

Des couleurs primaires aux couleurs tertiaires, elles sont omniprésentes dans la nature. Leur perception visuelle et émotionnelle impacte souvent nos comportements sans que nous en ayons forcément conscience. Beaucoup de psychologues se sont penchés sur la question, mais selon les époques, la culture et le lieu, leur influence et leur symbolique ne sont pas les mêmes.   

Les couleurs primaires   

Le cyan : Du grec ancien kuanos qui signifie éclat bleu. 

Le magenta : Lorsque le chimiste français François-Emmanuel Verguin conçut cette couleur, il lui donna le nom de magenta en référence à la victoire sanglante des soldats de Napoléon III contre les troupes autrichiennes dans la ville italienne de magenta en Lombardie en 1859. 

Le jaune :  jalne au XIe siècle, ce mot est issu du latin galbinus, lui-même dérivé de galbus qui signifiait, : vert pâle, jaune.

 Les couleurs secondaires   

Elles sont le résultat du mélange de deux couleurs primaires, le vert (cyan + jaune), le violet (cyan + magenta), le orange (jaune + magenta). Le noir est obtenu en mélangeant les trois couleurs primaires. 

Les couleurs tertiaires 

Comme vous vous en doutez, elles résultent du mélange d’une couleur primaire avec une couleur secondaire.   


Leur symbolique 

Les associations mentales que l’on fait entre les différentes couleurs peuvent varier d’un peuple à l’autre, mais aussi d’une époque à l’autre. Il serait trop long de visiter toutes les civilisations depuis l’Antiquité, mais sachez que les premières théories sur la symbolique des couleurs datent de la fin du XVIIe siècle. Newton se pencha sur la colorimétrie et Goethe conçut un cercle chromatique dans son traité des couleurs en 1810. Selon Michel Pastoureau, spécialiste de la symbolique des couleurs : « C’est la société qui "fait" la couleur, qui lui donne sa définition et son sens, qui construit ses codes et ses valeurs, qui organise ses pratiques et définit ses enjeux. »  

Nous associons, souvent inconsciemment, des idées aux couleurs que nous voyons, et c’est pourquoi elles sont si importantes en matière de communication, aussi bien commerciale que politique. 

                                                                                     Rouge

Le rouge, par exemple, est une couleur synonyme de puissance, de force et d’énergie, mais également de passion et d’amour. Il représente aussi le sang et la révolte, ainsi que le danger ou les interdits. Pensez aux hommes politiques souhaitant véhiculer une image de force et de volonté, qui portent une cravate rouge, ou à certaines marques comme coca-cola ! 


                                                                                               Jaune

Le jaune évoque l’optimisme, la joie, la chaleur. Dans la culture occidentale, c’est la couleur du soleil et de la lumière alors qu’en Chine c’est la couleur de l’humilité. Il a cependant mauvaise presse à bien des égards et reste une couleur mal-aimée, passant bien après le bleu (champion toutes catégories), le vert, le rouge ou le violet. Toujours d’après Michel Pastoureau, le jaune passe progressivement d’une couleur bénéfique dans l’Antiquité gréco-romaine à la couleur du mensonge et de la trahison à la fin du Moyen-Âge. On peint même les maisons des traitres en jaune jusqu’à la fin du XIXe siècle ! Elle devient durant ce même siècle la couleur des maris cocus, des benêts et des personnages ridicules. Cela expliquerait pourquoi c’est une couleur que l’on voie rarement en marketing (à part le fameux Bic) et jamais en politique… Pourtant, en héraldique (sur les blasons), le jaune était utilisé pour signifier honneur et loyauté… 


                                                                                               Vert

Le vert renvoie à la nature ; il exprime l’optimisme, l’espérance, la croissance, la loyauté. C’est une couleur reposante et relativement positive, signe d’harmonie et d’équilibre. Le designer et écrivain, Jean-Gabriel Causse rapporte, au cours d’une interview diffusée en août 2020, l’expérience amusante réalisée dans un casino de Las Vegas sur l’impact de la couleur des tapis de jeu de roulette sur le comportement des joueurs. Si le tapis est rouge, les joueurs ont tendance à jouer rapidement, presque violemment, mais ils se lassent très vite. Si le tapis est bleu, ils jouent au contraire très lentement, presque mollement. Enfin, si le tapis est vert, ils jouent à un rythme modéré mais, surtout, ils continuent de jouer lorsqu’ils commencent à perdre ! Le vert étant la couleur de la confiance et de l’équilibre, elle les amène à penser « je vais me refaire » … Autrement dit, les tapis de jeux ne sont pas près de changer de couleur ! 


                                                                                          Violet

Le violet est une couleur mystique, pleine de spiritualité, de magie et d’élégance. Ce n’est qu’au XVIIIe siècle qu’il est reconnu comme couleur, lorsque Isaac Newton l’identifie sur le spectre solaire entre le magenta et le bleu. Elle est synonyme aussi de respect, de sagesse et de dignité. Cette teinte ambigüe, ni chaude ni froide, peut aussi bien évoquer la douceur, le rêve ou la méditation que la mélancolie et la solitude. Dans le Feng Shui, le violet est lié à l’intellect et à la spiritualité, et se concentrer sur du violet en méditation peut élever la conscience à des niveaux supérieurs. Toutefois, elle reste une des couleurs les plus rares dans la nature (à part la vache de Milka !) et peut susciter la méfiance. 


                                                                                          Bleu

Le bleu est la couleur qui remporte tous les suffrages et qui est le plus couramment utilisée dans la création des logos. Elle inspire la vérité, la tranquillité, l’harmonie, la paix. Elle est souvent associée à la confiance, la loyauté et la sagesse. Le bleu est une couleur de grand calme qui ralentit le métabolisme, au contraire du rouge qui accélère le rythme cardiaque. C’est une couleur très utilisée en communication pour son côté rassurant. 


                                                                                          Orange

Le orange insuffle l’enthousiasme, le bonheur, l’énergie, l’action. Cette couleur chaude est stimulante et revigorante. Elle n’est pas agressive, comme pourrait l’être le rouge, et sa gaieté en fait une couleur très « sociale ». C’est aussi la couleur de l’automne et des récoltes, et par association, de l’abondance et du succès. En héraldique, elle symbolise la force, la puissance et l’endurance. 


                                                                                                    Rose

Le rose est l’image de la féminité, de la douceur, de la romance. Bien sûr, utilisé en trop grande quantité, il peut être interprété comme enfantin, mièvre ou carrément ringard. Mais sans aller jusque-là, cette couleur est positive et inspire l’affection, le réconfort, la gentillesse, la gratitude. Elle aussi peut faire baisser le stress et apaiser. 


                                                                                                    Noir

Le noir est sérieux… on ne plaisante pas avec le noir. Il est puissant, élégant et intemporel. Mais selon le contexte, il symbolise aussi la mort, le deuil, le chagrin… Il est intimidant de par sa force et son prestige. En psychologie, cette couleur peut donner le sentiment d’être protégé en dissimulant le manque de confiance en soi, ses vulnérabilités et ses insécurités. 


                                                                                                    Blanc

Le blanc est souvent associé à la pureté, l’innocence, la propreté, la virginité. Mais il est aussi synonyme de vide, d’isolement ou de détachement. Cette couleur minimaliste est aussi considérée comme stérile et peu inspirante… elle augmenterait les risques de burn-out de 25%. 


Voilà pour ce survol plus que succinct sur la signification des couleurs, qui est aussi une science de par la longueur des ondes qu’elles réfléchissent. Pour autant, beaucoup d’expressions contenant des adjectifs de couleur ne collent pas toujours à leur symbolique… 


Je sais, vous allez rire jaune si je vous dis que je suis rouge de honte d’avoir vu des anges violets qui m’ont fait une peur bleue… C’est pourquoi, plutôt que de broyer du noir, j’ai décidé de me mettre au vert et de voir la vie en rose, et tant pis pour la page blanche, je m’en vais vérifier si « La terre est bleue comme une orange » (P.Eluard, recueil « L’Amour poésie », 1929).