Bernard Pivot

Dans sa célèbre émission Apostrophes, Bernard Pivot avait coutume de demander à ses invités : « Si Dieu existe, qu'aimeriez-vous lui entendre dire quand il vous accueillera ? ». Un jour que Laurent Delahousse lui posa cette même question lors d’une interview, il répondit : « Il me dira : " Bonjour, Pivot. Vous allez pouvoir m'expliquer les règles d'accord du participe passé des verbes pronominaux ; je n'y ai jamais rien compris." Et je lui répondrai, modeste : "Moi non plus, Seigneur". »  

Il est donc vrai que cela va se corser un peu puisque nous allons voir les cas où la règle simple de « est-ce que j’ai déjà écrit ce dont je parle » n’est plus valable. Ce sont des exceptions, malheureusement inhérentes à la richesse de notre langue (bon là, j’essaie de faire passer la pilule) ! Mais avant de partir courageusement à leur conquête, penchons-nous sur le cas de l’homme à qui nous devons de nous arracher les cheveux depuis presque cinq siècles !

                                                                                           Sacré Marot ! 

Clément Marot, né à Cahors à la fin du XVe Siècle, devint le poète le plus important de la cour de François Ier, après avoir été son valet de chambre. Pour notre plus grand malheur, en 1538, il édicta une règle sur l’accord des participes passés dans l’un de ses Épigrammes, la proposant par « jeu savant » aux lettrés de son temps. (Franchement il aurait pu trouver d'autres jeux !). Il prit pour cela modèle sur la langue italienne (qui a depuis partiellement renoncé à cette règle, pas fadas les Italiens !), sans imaginer une seconde que trois siècles plus tard, l’École républicaine l’imposerait à tous. Dommage pour lui, car ce fut un grand poète, assez malicieux il faut le dire, et deux siècles après, Voltaire avec sa langue bien pendue n’hésita pas à dire de lui : « Il a ramené deux choses d’Italie : la vérole et l’accord du participe passé. Je pense que c’est la deuxième qui a fait le plus de ravages. » 

Bon, fini la récré, faut y aller !

  

I  Plusieurs cas où le participe reste invariable :


  1/ Le participe passé « fait » suivi d’un infinitif

Elle s’est fait renvoyer. La robe qu’elle s’est fait faire. Elle s’est fait avoir. Les fruits que j’ai fait peser. La grande piscine qu’elle a fait creuser.

C’est une règle très simple pour laquelle il n’existe aucune exception : le participe passé de faire, fait, suivi d’un infinitif est toujours invariable. Ne vous posez même pas la question ! Comme vous pouvez le voir, la règle est valable quel que soit l’auxiliaire employé, être ou avoir.   

2/ Avec les verbes impersonnels  

Mais qu’est-ce qu’un verbe impersonnel ?  

En grammaire on dit qu'un verbe est impersonnel quand il ne s'emploie qu'avec la troisième personne du singulier : il Il existe trois formes de verbes impersonnels : 

a/ Les verbes essentiellement impersonnels 

Ils se construisent avec le pronom il qui n’a pas d’antécédent. Il s’agit des verbes exprimant les phénomènes météorologiques (pleuvoir, neiger, venter, etc.) ainsi que du verbe falloir

b/ Les verbes occasionnellement impersonnels 

Ils se construisent aussi avec le pronom il et s’emploient dans certains contextes : On peut citer les verbes faire, suffire, sembler, pouvoir, arriver, convenir, rester, y avoir, et bien d’autres.

 Qu’ils soient essentiellement impersonnels ou occasionnellement impersonnels, leur participe passé est toujours invariable

Il a neigé hier. Il a plu deux jours durant. Il est arrivé qu’elle parte sans prévenir. Les grands froids qu’il a fait cet hiver. Quelle neige il y a eu et quels efforts il a fallu pour dégager le chemin !


3/ Avec les verbes de mesure

Le participe passé des verbes coûter, courir, peser, valoir, vivre, régner, reste en général invariable si le pronom relatif que répond à la question combien ? 

Les 100 mètres qu’il a couru, mais les risques qu’il a courus

Les 100 mètres répond bien à la question combien ? Mais les risques est ce dont on parle avant d’écrire courus et tombe dans la règle générale de « est-ce que j’ai déjà écrit ce dont je parle ». 

Les deux ans qu’il a vécu à l’étranger. Les émotions qu’il a vécues.  

Les millions d’euros qu’a coûté cette réforme. Les efforts que ce travail a coûtés

Les cent mille euros que cette maison a valu. Les désagréments que ces travaux m’ont valus.   


II  Le participe passé avec l’auxiliaire avoir suivi d’un infinitif   

Ça se corse un peu, mais il existe une astuce

Les enfants que j’ai entendus chanter

 La chanson que j’ai entendu chanter 

La règle est la suivante : le participe passé suivi d’un infinitif s’accorde si le COD (complément d’objet direct) placé avant fait l’action exprimée par l’infinitif.  

Pour être sûrs de ne pas vous tromper, l’astuce est d’ajouter « en train de » devant l’infinitif : 

Les enfants que j’ai entendu(s) en train de chanter : la phrase reste cohérente, ce sont bien les enfants qui chantent, donc j’accorde le PP : entendus. 

La chanson que j’ai entendu(e) en train de chanter : peut-être trouvez-vous qu’il est cohérent d’entendre "une chanson chanter » … moi pas ! On n’accorde pas le PP : entendu. 

Attention, on parle bien de l’auxiliaire avoir suivi d’un infinitif ! 

Dans la phrase : 

la chanson que j’ai entendue à la radio, c’est la règle générale qui s’applique (ai-je déjà écrit ce dont je parle quand j’écris le participe passé ? Oui. Donc on accorde.) 

En revanche, dans la phrase : la chanson que j’ai entendu jouer à la radio, on ne peut pas dire : la chanson que j’ai entendu(e) en train de jouer à la radio ! 

Avec les participes passés dû, pu, voulu, permis  

Avec ces participes, on considère en général qu’un infinitif est sous-entendu et ils restent invariables : 

Il a réglé toutes les sommes qu’il a (sous-entendu, payer), qu’il a pu (payer), qu’il a voulu (payer), qu’on lui a permis (de payer). 

En revanche, toutes les sommes qu’il a dues, il les a payées. 

De même avec cru, espéré, estimé, imaginé, souhaité, etc.  

Dans l’exemple : 

Elles sont plus sympathiques que je ne l’aurais cru, le pronom le est neutre car il reprend toute la proposition. On n’accorde donc pas le participe passé. 

La sortie s’est passée comme vous l’aviez prévu

Elles sont plus sympathiques que je ne l’aurais cru

L’astuce est de vérifier que le pronom le (ou le l') peut être supprimé

La sortie s’est passée comme vous aviez prévu (sous-entendu, qu’elle se passe). 

Elles sont plus sympathiques que je n’aurais cru (qu’elles seraient). 


J’ai tout fait pour ne pas y arriver, mais nous y voilà ! 

III  Accords du participe passé avec les verbes pronominaux  

Qu’est-ce qu’un verbe pronominal ?  

C’est un verbe qui se construit avec un pronom réfléchi (me, te, se, nous, vous) et qui se conjugue avec l’auxiliaire être. Mais ça ne s’arrête pas là ! Il faut encore faire quelques distinctions ! Est-il essentiellement pronominal, accidentellement pronominal, ou pronominal de sens passif ?   

Essentiellement pronominal :    

On dit qu’un verbe est essentiellement pronominal quand il n’existe que sous cette forme : s’envoler, de souvenir, s’écrier, s’abstenir, s’évaporer (ces verbes n’existent pas sans le pronom réfléchi). Dans ce cas, le participe passé s’accorde avec le sujet : Elle s’est souvenue de lui. Nous nous sommes abstenus de tout commentaire. Elle s’est absentée. Ils se sont immiscés dans la conversation. Mes tantes se sont enquises de ma santé.

 Les verbes s’apercevoir de, s’attendre à, se douter de, s’attaquer à, s’aviser, s’échapper, s’ennuyer, se jouer de, se plaindre de, se prévaloir de, se saisir de, se servir de, se méfier de, se taire suivent la même règle que ci-dessus et s’accordent avec le sujet. Elles se sont aperçues de leur erreur Elles se sont plaintes de la chaleur 

Accidentellement pronominal :   

Ces verbes existent avec ou sans pronom réfléchi : laver/se laver, asseoir/s’asseoir, coucher/se coucher, succéder/se succéder, demander/se demander…    

Je voulais m’abstenir jusqu’ici de mentionner le COD (complément d’objet direct qui répond à la question : qui ou quoi ?) et le COI (complément d’objet indirect qui répond à la question à qui, à quoi, de qui, de quoi ?), mais impossible de faire autrement. 

Pour accorder le participe passé de ces verbes, il faut analyser le pronom réfléchi. Est-il COD ou COI

Passons directement aux exemples pour que ce soit plus simple : 

Le pronom SE est COD : 

IL suffit de se reporter à la règle générale. 

Ils se sont rincés : Ils ont rincé quoi ? se (COD). Le COD étant devant (autrement dit « j’ai déjà écrit ce dont je parle »), on accorde : rincés.   

Ils se sont rincé l’œil : Ils se sont rincé quoi ? L’œil ! C’est l’œil qui est COD et on n’accorde pas puisque « ce dont on parle n’est pas encore écrit ». 

Idem pour : Ils se sont couchés. Ils ont couché les enfants. 

Le pronom SE est COI :   

Dans ces cas-là, on n’accorde pas le participe passé : 

Elles se sont parlé : Elles ont parlé à qui ? à SE qui est mis pour elles. 

Ils se sont téléphoné : Ils ont téléphoné à qui ? à SE qui est mis pour ils.   

Les jours se sont succédé : les jours ont succédé à quoi ? à SE mis pour les jours

Je sais c’est un peu compliqué. Mais la véritable astuce est de se poser la bonne question en ne perdant jamais de vue le pronom réfléchi.

      

Pronominal de sens passif :   

Ce sont des tournures de phrases : 

Les livres se sont bien vendus (sous-entendu : ont été bien vendus

La déflagration s’est entendue dans tout le quartier (a été entendue

Cette pièce s’est jouée à guichets fermés (a été jouée

Allez, c’est presque fini !

 

Les locutions figées    

Se faire jour, se faire fort, se rendre compte : leur participe passé est toujours invariable.

 Elles se sont fait jour. Ils se sont fait fort de gagner. Elle s’est rendu compte de son oubli.



Voili, voilou ! Retenez que même certains qui se croient bons en grammaire se font avoir et qu’il n’y a aucune honte à hésiter devant un accord du participe passé ! J’espère simplement qu’une ou deux astuces citées ici vous faciliteront la vie…