Après la publication de mon premier roman « La spirale du silence », une amie m’a demandé où je trouvais l’inspiration. C’est vrai que j’étais un peu dans l’embarras pour lui répondre, n’ayant retenu de cette première expérience que le bon côté, celui un peu extatique dans lequel je baignais à ce moment-là. Un peu comme les images sublimes que l’on garde à la fin d’une grande randonnée ; on oublie les intempéries, les passages difficiles, la soif, le découragement. Il ne reste que la sensation de communion avec la nature et l’immense satisfaction d’être allé jusqu’au bout. 

     De la même façon, j’avais oublié les paragraphes sur lesquels j’avais bloqué, parfois des jours et des jours, les moments de doute, les heures à traquer le « pâté » qui alourdissait la phrase, le nombre de fois où j’avais relu mes chapitres, relevant des fautes à chaque fois (je salue d’ailleurs l’œil aiguisé de mes deux bêta-lectrices préférées qui se reconnaîtront)… 

     Bref, tout cela pour dire qu’en fait d’inspiration, j’avais des personnages auxquels je tenais, des réflexions que je voulais développer sur la nature humaine, un semblant de trame… et rien d’autre.  Je dois dire qu’il est difficile de trouver plus évasif que la réponse que je lui ai faite ce jour-là : « Honnêtement, je ne sais pas trop… ». 

     Aujourd’hui, même si je n’en sais pas beaucoup plus, j’ai envie de partager avec vous le fruit de mes petites investigations sur le sujet. 

                                                                      Un souffle créateur ? 

Sa définition :   Le Larousse la définit ainsi : nom féminin, du bas latin inspiratio 

1. Phase de la respiration pendant laquelle l'air atmosphérique, riche en oxygène, pénètre dans les poumons. 

2. Mouvement intérieur, impulsion qui porte à faire, à suggérer ou à conseiller quelque action : suivre son inspiration. Synonyme :intuition 

3. Enthousiasme, souffle créateur qui anime l'écrivain, l'artiste, le chercheur : chercher l'inspiration.  

4. Ce qui est ainsi inspiré : de géniales inspirations. 

5. Influence exercée sur un auteur, sur une œuvre : une décoration d'inspiration crétoise. Synonymes : emprise - impulsion - influence - instigation - suggestion 

6. Influence charismatique de Dieu sur les auteurs des livres saints. 

Cela voudrait-il dire que « le souffle créateur qui anime l’artiste » serait aussi naturel que la fonction biologique qui nous permet de rester en vie ? Non. Assurément pas ! Et pourtant… 

                                                                                     De la magie ?

     J’ai lu récemment le livre d’Elizabeth Gilbert, « Comme par magie », et j’avoue avoir perçu certaines des sensations qu’elle décrit. Je vous livre certaines de ses réflexions : 

     « Les Grecs comme les Romains croyaient à l’idée d’un esprit divin de la créativité, une sorte d’elfe domestique, qui vivait chez eux et les aidait parfois dans leur travail. Ils l’appelaient « génie », c’était leur divinité gardienne, le canal de leur inspiration. En d’autres termes, pour les Romains, un individu exceptionnellement doué n’était pas un génie, il avait un génie. »

      Mais comme elle le dit, son génie n’est pas forcément disponible quand elle le désire. Elle a même l’impression parfois que c’est elle qui n’est pas disponible pour lui et qu’il attend dans un coin afin de vérifier qu’elle va réellement accorder tous ses efforts à cette entreprise créative. Enfin ça, c’est seulement si le génie en question est patient ! 

     Tout cela pour dire que l’inspiration vient et repart. Elle n’a pas d’horaires fixes. « Une idée arrive. Une idée grandit. Une idée dévie. Une idée s’en va. »  Et puis, à un moment, la connexion se fait ! La description qu’elle fait de l’inspiration au moment où elle la touche correspond à ce que j’ai ressenti à certains moments sans que je puisse décrire cette sensation aussi bien qu’elle : 

« Parfois, quand je suis en pleine écriture, c’est un peu comme si j’étais brusquement sur un de ces trottoirs roulants qu’on trouve dans les grands aéroports ; ma salle d’embarquement est encore loin et ma valise est toujours aussi lourde, mais je me sens délicatement propulsée par quelque force extérieure. Quelque chose me porte -quelque chose de puissant et généreux- qui n’est décidément pas moi.  Vous connaissez peut-être cette sensation. C’est celle que vous éprouvez quand vous avez accompli ou fabriqué quelque chose de merveilleux, et quand vous y jetez un coup d’œil plus tard, la seule chose que vous pouvez dire est : »je ne sais même pas d’où ça sort. » Vous êtes incapable de le refaire. Incapable de l’expliquer. C’est comme si vous aviez été guidé. »   

                                                                      Une réminiscence ?

D’autres, tel que Stéphen King, ont une autre perception de l’inspiration… moins poétique : 

     « Fous un écrivain à poil, fais le tour de ses cicatrices, et il te racontera en détail l’histoire de la plus petite d’entre elles. Les grandes sont à l’origine de tes romans, pas l’amnésie. C’est tout à fait utile d’avoir un peu de talent pour devenir écrivain, mais la seule chose qui soit absolument indispensable, c’est la capacité de se souvenir de la moindre cicatrice. » 

     Autrement dit, comme le dirait Napoléon Bonaparte, « L’inspiration n’est le plus souvent qu’une réminiscence. »   

     Dans son livre « Écriture : mémoires d’un métier », Stéphen King dit aussi : « N’attendez pas l’inspiration pour écrire ! » Lui-même s’astreint à écrire au moins 2000 mots par jour. Ces mots seront le premier jet d’un roman, d’un chapitre… ou non…

      Autrement dit, du travail, du travail et encore du travail ! 

     Voici maintenant ce qu’en dit Haruki Murakami dans son livre : « Profession : romancier ». 

     « À mon avis, écrire des romans n’est pas une entreprise vers laquelle se tournent les gens intelligents. Certes, l’écriture exige un certain niveau d’intelligence, d’éducation et de compétence. E je suppose que moi aussi je dispose d’un minimum de ces attributs. Sans doute. Mais si quelqu’un me demande directement, en face, si je suis vraiment sûr de posséder ces qualités, je lui répondrai que non, pas tout à fait.  Je considère que les individus à l’esprit vif ou dotés d’une intelligence supérieure sont peu enclins à se tourner vers la littérature. Parce que pour écrire des romans – ou des récits -, il faut adopter un rythme tranquille, rouler à une vitesse réduite en quelque sorte. Pour le dire sous la forme d’image : c’est un tempo qui se situerait entre la marche rapide et le vélo lent. Pour certains, la conscience fonctionne à ce rythme-là, alors que d’autres ne s’y retrouvent pas.     

     Quelques citations encore, glanées ici et là : 

     « La créativité se situe à la rencontre de la discipline et de l’esprit enfantin. »  Robert Greene               

     « On prend un trait chez celui-ci, un trait chez cet autre ; on l’emprunte à un ami de toujours, ou à quelqu’un à peine entrevu sur le quai d’une gare, en attendant un train. On emprunte même parfois une phrase, une idée à un fait divers de journal. Voilà la manière d’écrire un roman ; il n’y en a pas d’autre. » H.G Wells (préface à Dolorès), reprise par Pierre Lemaitre dans les remerciements de « Trois jours, une vie »   

     « Les mots des autres sont les graines que vous plantez dans votre champ sémantique pour nourrir plus tard votre verve. » Kristof Mishel « À la recherche de Mary Easterway »   

     « Les mots sont les passants mystérieux de l’âme » Victor Hugo « Les contemplations »   

     Finalement, pas de recette miracle, mais ça, on s’en doutait ! Pour ma part, c’est un peu de tout, ou plutôt, beaucoup de tout cela. 

                                                                      Que va-t-il en sortir ?

     Je vais vous faire une confidence. Depuis mon premier livre, je n’ai rien publié d’autre. Quelques nouvelles attendent bien au chaud dans un tiroir que j’en ponde trois ou quatre de plus pour en faire un recueil. Mais cela ne veut pas dire que je n’écris pas. Bien au contraire ! J’écris tout ! Tout ce qui me passe par la tête : une réflexion, une tournure de phrase, une scène saisie dans la rue, un supermarché ou un parc, un ressenti… Je collecte ces échantillons et les plante dans le jardin de mon inspiration. De temps en temps, je vois la terre frémir au-dessus de l’une de ces plantations et je guette le plant qui essaie de poindre. Très récemment, le mois dernier pour être exacte, la terre a fait plus que bouger. Elle a tremblé. Oh ! Un petit tremblement de rien du tout, mais je sais que ce qui est encore sous terre ne demande qu’à être exhumé. Pour être honnête, j’aurais préféré, pour différentes raisons, que l’arbrisseau reste en gestation encore quelques mois. Mais visiblement, il faut que je me prépare à accueillir cette éclosion très bientôt. 

     Alors je vais me lancer dans cette belle aventure, en espérant que les heures s’étirent parfois, pour vous présenter dans quelques mois -soyons honnête, plus d’une douzaine- un nouveau roman. Je sais que vous serez au rendez-vous, comme vous l’avez été et continuerez de l’être tous les quinze jours. 

     Merci du fond du cœur de me suivre fidèlement…